J' aime me lever de bonne heure, pour plusieurs raisons, et, l' une d' elles est pour traquer le lever du soleil, qui, souvent, nous offre des spectacles grandioses.
Et hier matin, se fut magnifique et incandescent. Vite, l' appareil photo.
J' étais éblouie. Ce n' était pas qu' un banal lever de soleil, car deux flèches blanches avaient l' air de faire la course, en transperçant les légers nuages.
Elles se dirigent vers le sud, venant du nord. Quelles sont' elles ? Des avions ? Ou quelques magiciens parcourant l' aurore sur des flèches d' argent pour enchanter le ciel ?
Où vont' ils ? Avions ou magiciens, ils emportent nos rêves. Ils tracent dans le ciel une trajectoire rectiligne, et, si on a la chance de les apercevoir, ils nous emmènent avec eux.
Je saute pour m' accrocher à l' un d' eux. Celui qui est en tête va trop vite, est trop haut; d' ailleurs, il disparait déjà. Mais, je réussis à attraper le second. Je vogue dans un océan d' or, juchée sur cette flèche comme une sorcière sur son balai.
Mon rêve devient d' Afrique, continent que colore la laterite rougeâtre.
Quand souffle le vent du désert sur ces terres désolées, aux confins du Niger et de l' Algérie saharienne, on est vite soi-même maquillée de cette terre rouge orangé, qui s' infiltre dans les pores, et il faut ensuite des jours avant d' en être débarrassée malgré les douches. Je le sais, cela m' est arrivé.
Dans le rêve, le déplacement est instantané. Il suffit de penser à un endroit, et, pouf.....on y est !
Il y a un instant, je me promenais dans l' oasis de Nefta, le long de ces sources ténues qui font vivre les Hommes, ou, dès que l' on s' aventure un peu dans le chott El Djerid asséché, tout proche, on peut voir les mirages, ces pièges sahariens qui faisaient marcher, encore et encore, ces caravanes qui apportaient le sel.
Et maintenant, où suis-je ? Ces tours carrées.....Je suis dans la vallée du Todra ! Ainsi, j' ai sauté sans transition du sud tunisien au sud marocain. Je suis dans l' un de ces ksour qui parsèment la vallée, le long de l' oued aux eaux si claires, mais si traitres aussi, car, si la neige a été abondante sur le Haut Atlas où il prend sa source, la fonte peut entrainer une montée spectaculaire, soudaine et impitoyable des eaux qui noient les malheureux imprudents qui se promenaient par là.
Ces images qui flottent devant mes yeux sont des souvenirs évanouis du temps de ma jeunesse, qui reprennent une vie éphémère.
J' entends tout à coup une musique dont je reconnais les sons lancinants. C' est une musique du désert, celle des musiciens ambulants, entendue un jour à Beni Abbès, l' oasis blanche, qui s' étend au bord de l' oued Saoura s' insinuant au travers des dunes roses du Grand Erg Occidental, où il va vite se perdre.
De là était parti Laperrine, en route pour Taoudeni, l' enfer du sel.
Le désert s' étend, immense, infini. C' est la terre d' un dieu solitaire, jaloux et impitoyable. Il est fait aussi peut-être, pour ces hommes solitaires, qui, dune aprés dune, tentent de fuir un soleil meurtrier.
C' est une terre nue, sous un ciel nu, où nous sommes confrontés à nous-mêmes. Certains ne le supportent pas. Un jour, j' y avais amené une amie pour qu' elle en ressente la grandeur, l' impression de grandir soi-même jusqu' aux limites de l' Univers. Elle s' était sentie écrasée, angoissée, et nous avions du repartir très vite.
Ce minaret trapu, dressé au sommet d' une colline conique, cette ville aux toits blancs étalée à ses pieds : Ghardaïa, la perle du Mzab, celle qui m' a faite rêver dans mon enfance, et où je suis allée, quand l' Algérie était en pleine tourmente. Le Corbusier se serait inspiré de ses maisons.
Ghardaïa, avec ses murailles ocrées est un ksar, un gros village fortifié. Elle est la capitale du Mzab, longée par l' oued éponyme, pratiquement toujours à sec.
Pour moi, et je ne sais toujours pas pourquoi en réalité, Ghardaïa est mystérieuse. Peut-être parce que là se trouve la piste qui part vers le Hoggar, terre gardée par des Génies, et qui inspira, dit' on, Pierre Benoît quand il écrivit " l' Atlantide ". Parce que le mot " Mzab " contient en soi une part du mystère de cette langue mouzabite qui l' a nommé. Ou bien parce que l' épicier mozabite du coin, me racontait des histoires invraisemblables.
Dans l' Algérie de mes souvenirs, Ghardaïa aura toujours une place particulière, celle des rêves d' enfant réalisés.
Elle est inscrite au patrimoine mondial de l' UNESCO.
ll faudrait peut-être que je retombe sur terre, sinon, je serai en retard. Allez, je décroche, comme disent les pilotes de chasse.
Tiens ! Un autre avion trace sa trajectoire. Celui-ci part vers le nord. Aucun risque que j' essaie de m' y accrocher !!!
( Les photos sont de moi, les images sont extraites d' un de mes livres " l' Afrique du Nord ", éditions Odé, 1952)