Les rêveries du chêne solitaire

         Il est là, immense et majestueux, et seul. Il avait eu un frère que j' avais connu il y a longtemps, avant que la grande tempête de mille neuf cent quatre vingt dix neuf eut raison de lui.

         L' hiver l' avait dépouillé de ses feuilles, et, à la splendeur de sa parure, avait succédé la grandeur presque tragique de ses longues branches dénudées qui déchiquetaient le ciel

          C' est un chêne plusieurs fois centenaire et............ il est mon ami. Comment est-ce arrivé ? Je ne sais plus. Peut-être un jour ai-je perçu une infime vibration, un mouvement brownien ténu qui agitait son coeur, parcourait ses branches, attestant de la vie qui habite toute créature.

         Et ce jour-là j' ai pensé : " Et si la seule différence entre lui et moi était ma mobilité ? ". Et, j' ai entendu comme un petit rire moqueur. Depuis, nous discutons; mais, je vous l' ai déjà raconté. ( cf nature 2012 : " un vieil ami " ).

         Ce chêne est encore jeune, il a parait' il environ trois cents ans. Il serait donc né à peu près au moment où s' éteignait le Roi Soleil.

         Je me demande si ces nodosités que l' on voit sur certaines branches sont dues à l' âge. Après tout, certains vieillards deviennent secs et noueux, c' est peut-être pareil pour un chêne !

          Mais, vivant si longtemps, huit cents ans m' a t' on dit, à partir de quel âge un chêne est' il vieux ?

         En tout cas, il ne m' étonne pas qu' un arbre en général soit symbole de vie; de plus, ce chêne est un feuillu qui, contrairement au chêne vert, est dépouillé de ses feuilles chaque automne, et les retrouve au printemps. Par cela, il symbolise alors les cycles cosmiques.

          Il est bien lié au cosmos ce chêne. Il met en communication la terre et le ciel. Ses racines sont profondément enfoncées dans la terre, et ses plus hautes branches flirtent avec la lumière céleste. Ne serait' il pas ce chemin par lequel passent ceux qui vont du visible à l' invisible ?

          Figé dans sa majesté, enfermé dans sa puissance, défiant la foudre qui parfois le menace, à quoi pense t' il ? On dit que les dauphins rêvent de l' Homme, en est' il de même pour ce chêne ? Possède t' il la mémoire atavique de son espèce?

          A t' il la nostalgie du temps où il était Arbre Sacré des Celtes, puis des Gaulois ? Celui qui captait les énergies de la terre et du ciel , qui transmettait aux druides cette force, que, ceux-ci, au cours de cérémonies rituelles, communiquaient aux hommes ?

         Certains druides préparaient des potions magiques qu' ils distribuaient parcimonieusement,

         Sauf à Obélix, l' obscur livreur de menhirs d' un obscur village gaulois,

         qui, enfant, aidé par un autre polisson du village qui lui servait de marchepied, avait voulu goûter ce qu' il y avait dans le chaudron du druide, et, était tombé dedans.

         Il avait de ce fait, acquis une force herculéenne pour la vie entière;

          Se souvient' il de ce rôle divin qui se retrouve jusque dans la Bible, puisque c' est au pied d' un chêne qu' Abram tomba dans un profond sommeil au cours duquel, il reçut l' ordre de partir vers ce pays où allait naître le premier monothéisme, et devenir Abraham.

         Les Grecs ont eu " les chênes parlants ", en particulier le chêne de Dodone, qui était un oracle fameux.

         Les prêtresses de Dodone racontèrent à Hérodote que deux colombes noires s' envolèrent du Temple d' Ammon, à Thèbes, en Egypte, l' une vers la Libye, et l' autre vers la Grèce. Cette dernière se posa sur un chêne, et, prenant une voix humaine, ordonna qu' à cet endroit fut établi un oracle de Zeus.

         Pense t' il à ce passé prestigieux, ce grand arbre solitaire ?  

         Se rappelle t' il avoir eu à son pied, un roi de France qui se plaçait là, pour rendre la justice pour son peuple. Peut-être lui transmettait' il, à son insu, ou pas, un peu de cette sagesse immémoriale que sa communication avec le ciel lui rendait accessible ! Alors, c' est peut-être à lui que Louis IX doit sa réputation de roi juste et bon ?

          Cet oiseau, posé, immobile, sur une haute branche, a t' il la capacité d' entendre les frémissements mémoriels qui parcourent le chêne, et les écoute t' il comme un enseignement de notre histoire commune ? 

         Me racontera t' il un jour toutes ses rêveries ce chêne solitaire ? Peut-être quand je m' envolerai vers l' invisible si je fais une petite escale auprès de lui ?