Nous voilà donc en route pour le lac Balaton. Nous n'étions pas gênées par la circulation; je ne me souviens même pas avoir croisé ou doublé une voiture. La zone traversée était boisée et déserte.
Depuis quelques kilomètres, on longeait une haute barrière hérissée de barbelés, sans doute électrifiés, et, flanquée de miradors à intervalles réguliers.
Evidemment, j' ai stoppé la voiture, pris l' appareil-photos, et suis descendue pour trouver le bon angle. Mais.....le mirador était occupé. Un soldat a crié en gesticulant et brandissant son arme, cette bonne vieille kalaschnikov. Il voulait que je déguerpisse, mais je me suis dite : " je ne comprends pas le hongrois, avançons juste un peu pour voir ". Alors, cet irascible bonhomme a ajusté l' angle de tir de sa kalasch.
Mais c' est qu'il aurait tiré sur une faible femme ce butor !
Je suis retournée dignement, sans courir, vers la voiture, et nous sommes parties. Et ma soeur a râlé sur mon côté provocateur. Bon, c' est vrai, et elle avait raison. Nous avons longé, ce que nous supposions être un camp, sur plusieurs kilomètres.
Puis nous sommes arrivées à Keszthely, cité balnéaire très fréquentée par la nomenklatura est-allemande. Ma soeur s' est disputée avec un gros et virulent berlinois de l'est, à qui elle a rappelé qu' ayant perdu la guerre il ferait mieux de se taire. J' espère qu'il comprenait le français, sinon, je le regretterais toujours.
Je me demande quand même si ces Allemands de l'est n' étaient pas masochistes, car, c'est dans cette région du lac Balaton, qu'eut lieu, du six au seize mars mille neuf cent quarante cinq, une des dernières offensives de l'armée allemande au cours de laquelle plusieurs dizaines d' unités SS furent décimées.
Avec le flair qui me caractérise, j' avais réservé dans un hôtel face au lac. Bon d' accord, son nom est "Hôtel Marina"; j' admets que c' était assez facile. J'en ai retrouvé le prospectus :
Là se sont passés deux événements notoires :
* D' abord la tentative abracadabrantesque d' appeler notre mère, car c'était le jour de la Fête des Mères.
Il faut demander à la réception. Mais.....non, on ne parle pas français. Pas grave, nous allons parler anglais : mais non, on ne parle pas anglais. Allemand alors ? Oui. Je me lance. ( L' allemand n'est pas ma tasse de thé; un jour je raconterai peut-être dans quelles circonstances j' au du apprendre en vitesse à le baragouiner).
Je fais donc part de mon désir d' appeler en France. Et là......." Et pourquoi voulez-vous appeler en France ? Non, c' est interdit, mais.....vous pouvez appeler Berlin Est ".
Et le 22 à Asnières peut-être ?
Je laisse tomber en me disant que depuis le Hilton de Buda....Mais nous sommes bien ennuyées car notre mère, déjà pas ravie que nous allions au-delà du rideau de fer, devait commencer à s' inquiéter.
* Le second événement a eu lieu au restaurant de l'hôtel le soir. Un groupe d'une dizaine d'hommes était arrivé. Ils paraissaient obéir au doigt et à l' oeil à un type à l'air sévère, vêtu d' un costume gris plutôt démodé à nos yeux. Il s'agissait d' un groupe d'ouvriers tchèques, venus en voyage de récompense, visiter deux ou trois usines hongroises.
Mais quelle chance ils avaient dans le paradis communiste de se voir offrir de si exaltantes vacances !
Cependant, rideau de fer ou pas, le soleil s' en moque, et il nous a offert ce soir-là un beau coucher sur le lac.
Celui-ci est le plus vaste d' Europe Centrale. Généralement calme, il peut parfois se transformer en mer déchaînée lors de violents orages venant des Monts Bakony que l'on aperçoit sur l' autre rive.
Et heureusement, nous étions au mois de mai, car l' hiver, très rude dans cette région, le lac est le plus souvent gelé sur une épaisseur moyenne de vingt cinq centimètres.
Mais qui irait en Europe Centrale en hiver ?
A bientôt !